Oui, la nuit, tous les chats sont gris. Hormis son sens profond, vous pouvez aisément vérifier la véracité de cette expression : dès que la luminosité baisse, tout ce qui vous entoure n’est plus qu’un dégradé de gris que ce soit l’arbre au vert feuillage ou le coussin rouge accaparé par le chat en question.
Ce phénomène est si quotidien que l’on n’y prête plus attention. Pourtant les couleurs sont toujours là. Tant que l’obscurité totale n’est pas tombée, nous devrions pouvoir discerner le vert ou le rouge, même foncés par la baisse de lumière.
Alors pourquoi ce gris ?… La réponse à cette question hautement fondamentale (vous pourrez toujours essayer de la ressortir au cours d’un dîner romantique) ne sera pas sans conséquence sur notre vision du ciel nocturne.
Cônes et bâtonnets
Non, il ne sera pas question d’eskimo au chocolat.
Sachez que, pour vous permettre de « voir » le monde, le fond de vos yeux est tapissé de cellules photo-réceptrices qui transforment la lumière reçue en signaux électriques directement envoyés vers votre cerveau. Ces cellules nerveuses sont de deux types : des « cônes » et des « bâtonnets », nommés ainsi en raison de leur forme approximative.
Les cônes sont, eux-mêmes, de trois types différents : l’un est plus sensible au bleu, l’autre au vert, et le dernier au jaune et au rouge. Et, vous l’aurez compris, c’est grâce à la combinaison de ces trois types de cônes que notre cerveau parvient à reconstituer toutes les couleurs, en évaluant le niveau du signal envoyé par chacun de ces cônes.
Les bâtonnets sont, eux, tous identiques, et ne permettent donc pas de détecter les couleurs. C’est donc grâce aux cônes que nos yeux sont deux caméras filmant en couleurs. Si nous ne possédions que des bâtonnets, nous verrions le monde comme un film en noir et blanc.
Ci-dessus, vous retrouvez, en fonction de la longueur d’onde de la lumière (en nm) – ou la « couleur » si vous préférez (et pour en savoir plus, c’est ici) – les courbes de sensibilité correspondant à chacun des trois types de cônes (lignes bleue, verte et rouge) ainsi que celle correspondant aux bâtonnets (ligne noire).
Aucune de ces cellules n’est sensible aux ultraviolets (plus à gauche) ou à l’infrarouge (plus à droite), et c’est pourquoi nous ne voyons pas ces types de lumière.
De l’utilité du bon vieux bâtonnet
Puisque les cônes semblent très bien faire leur boulot, on pourrait se demander à quoi servent ces bâtonnets au fonctionnement si rudimentaire. Ceux-ci possèdent en fait un gros avantage sur les cônes : ils sont beaucoup plus sensibles à la lumière, ou plus précisément, à son intensité !
- Pour qu’un cône puisse réagir à la lumière (et donc envoyer l’information au cerveau), il faut qu’il reçoive un bon paquet de lumière. En dessous d’un certain seuil, nada, il continue à dormir.
- Pour un bâtonnet, en revanche, un petit paquet de lumière suffit à le faire tressaillir. Et ça, c’est très utile dans l’obscurité !
C’est donc pour cela que « la nuit, tous les chats sont gris ». Lorsque qu’il n’est éclairé que faiblement par un modeste quartier de lune, le paysage (et tout ce qu’il contient) ne renvoie vers vos yeux qu’une très faible quantité de lumière. Donc, pas de quoi titiller vos cônes. Seuls les bâtonnets sont alors en action. Mais bien sûr, les couleurs ne sont plus au rendez-vous, ou très peu si quelques rares cônes daignent se réveiller.
Une petite parenthèse astronomique… Vous ferez sûrement une moue dubitative si d’aventure, en regardant le ciel nocturne, un ami astronome vous montre du doigt cette magnifique super-géante rouge portant le nom de Bételgeuse (ci-dessus). Au premier coup d’œil, vous ne verrez probablement qu’une étoile aussi blanche que les autres. Bon, en insistant un peu, dans un ciel de bonne qualité, vous finirez par détecter une très vague clarté rougeâtre. La faute, encore une fois, aux cônes et aux bâtonnets… Si les cônes avaient une plus grande sensibilité aux faibles lumières, c’est en effet un spectacle autrement plus coloré qui s’offrirait à vous en observant la voûte céleste : des étoiles blanches, rouges, jaunes, vertes, oranges et bleues !
De l’intérêt de regarder dans les coins
Chacun de vos yeux disposent en moyenne de 120 millions de cellules photo-réceptrices. 95% d’entre elles sont des bâtonnets. Et donc, seuls 5% d’entre elles sont des cônes.
Ces cônes (qui vous font voir la vie en couleurs, youpi !) sont donc très précieux et très utiles dans la plupart de nos tâches. C’est pourquoi la nature les a regroupés au centre de la rétine, et donc au centre de notre vision. A contrario, la densité de bâtonnets est maximale en périphérie de la rétine, et décroît en s’approchant du centre. Ce qui me vaut d’ouvrir une deuxième parenthèse astronomique…
Certains objets intéressants du ciel nocturne sont vraiment à la limite de l’acuité visuelle humaine. Un ami astronome vous conseillera, dans ce cas, d’utiliser votre « vision périphérique ».
Pour expliquer la chose, prenons un exemple concret…
L’un de ces « objets » est la grande voisine de notre galaxie : la galaxie d’Andromède (ci-dessus) qui compte plusieurs centaines de milliards d’étoiles. Je vous étonnerai sûrement en vous apprenant que, dans notre ciel, cette galaxie est grande comme plus de six fois la pleine lune !
C’est en fait l’un des objets astronomiques les plus étendus présents dans notre ciel terrestre, bien plus que la lune ou le soleil (que ce soit clair : je ne parle pas de tailles réelles mais de tailles relatives, c’est à dire vues depuis votre jardin).
Mais, malgré sa taille apparente et le nombre d’étoiles qu’elle contient, sa distance gigantesque fait qu’elle demeure très peu lumineuse pour les pauvres Terriens que nous sommes (sinon quel spectacle au fond du jardin !). Elle est en fait si peu lumineuse que l’on ne peut entrevoir, avec nos yeux, que sa région la plus brillante (son bulbe central). Et mieux vaut avoir un ciel bien noir (pas de ville à proximité, pas de lune non plus).
Si votre ami astronome – toujours lui – vous montre l’endroit où observer. Il y a fort à parier que vous ne voyez… rien. Mais en regardant juste à côté de l’endroit où se trouve la galaxie (enfin, son bulbe), et que vous vous concentrez sur le bord de votre champ visuel… Miracle, une petite tache floue est apparue ! Vous la regardez, elle disparaît… Vous regardez à nouveau à côté, elle réapparaît !
Vous l’avez compris : les cônes, situés au centre de votre vision, ne sont pas assez performants pour détecter cette maigre lumière, contrairement aux bâtonnets situés en périphérie qui, eux, la perçoivent.
Notez qu’avec une excellente vue et un ciel parfait, vous n’aurez pas besoin de ce petit truc pour détecter M31 (la « galaxie d’Andromède » est son nom de scène)… mais cela aide quand même.
Travaux pratiques
Vous voulez voir cette galaxie pour de vrai ?… Suivez l’itinéraire :
- Prenez la pointe du dernier « V » du « W » de la constellation de Cassiopée.
- Ce « V » pointe vers l’une des étoiles brillantes de la ligne formant la constellation d’Andromède.
- A partir de cette étoile, revenez lentement en direction du « V », et vous tombez sur une étoile un peu moins lumineuse…
- Puis sur une seconde encore moins lumineuse.
- A partir de cette dernière étoile, regardez un peu sur la droite (dans le sens du mouvement), et vous y êtes !
- Enfin, n’oubliez pas l’utilité de la vision périphérique. Donc, visez un peu à côté !
Et si vous êtes perdu telle ma femme sur le périphérique parisien, eh bien, il est temps pour vous de rappeler l’ami astronome de tout à l’heure.
Sinon, patientez un peu : j’espère bien produire prochainement un article sur l’initiation à l’observation du ciel.
Bonus vidéo
Voici une intéressante vidéo publiée sur la chaîne Science étonnante. Elle vous apportera nombre d’informations complémentaires sur les couleurs…