, par Christophe Delattre

Nous venons de quitter une Terre placée au centre de la création divine. Héritière de la pensée aristotélicienne et érigée en dogme par l’Église, cette théorie géocentrique fait, de la Terre, le repère absolu par rapport auquel s’édictent les lois de la nature. Mais la Renaissance s’annonce, s’accompagnant de profonds chamboulements dans les idées. En physique aussi.

De la dictature terrestre à l’emprise solaire

Comme vous le savez peut-être, le premier qui va écorner le dogme aristotélicien, se nomme Nicolas Copernic : un chanoine polonais, féru d’astronomie, qui en 1530 termine l’écriture d’un livre nommé De revolutionibus orbium coelestium (Des révolutions des orbes célestes)… et qu’il prendra soin de ranger précautionneusement au fond d’un tiroir.

Cet ouvrage – et quelques notes prises auparavant – tend en effet à démontrer qu’il serait plus naturel de décrire le mouvement des planètes (y compris la Terre, rabaissée au rang de planète) comme une rotation autour du Soleil qui, à son tour, prendrait le statut de centre de l’univers.

copernic_systeme

S’il n’est pas le premier à avoir l’idée de ce système héliocentrique (les Grecs étant, encore une fois, passés avant : Aristarque de Samos, trois siècles avant notre ère), il apporte des arguments convaincants pour abandonner l’ancien et complexe système de Ptolémée censé expliquer le mouvement des planètes autour de la Terre à partir d’épicycles (des petits cercles tournant dans des grands cercles).

Bon c’est encore loin d’être parfait car Copernic n’a pas compris que les planètes décrivent des orbites elliptiques et non circulaires autour du soleil (il faudra attendre Kepler, 80 ans plus tard). Il a donc lui aussi recours à quelques petits épicycles pour rendre compte de ce que l’on voit réellement dans le ciel.

Constatons aussi qu’avec lui, l’univers possède toujours un centre, même s’il a changé de place.

Mais ce nouveau « centre » solaire perd de son absolutisme (la Lune continue, par exemple, de tourner autour de la Terre), et surtout sa thèse va à l’encontre des démonstrations d’Aristote et de ses compères sur le mouvement. Bref, il a préparé le terrain pour l’avènement de la relativité.

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Ce n’est qu’en 1543, sur son lit de mort, que Copernic (ci-dessus) autorisera la publication de son livre par un imprimeur luthérien.
Ainsi qu’il l’avait pressenti, l’Église qui avait déjà fort à faire avec la réforme de Luther (le protestantisme naissant) n’apprécia pas du tout sa prose, et finira par mettre son livre à l’index (pas le doigt mais la liste des bouquins devant servir de combustible dans les cheminées). Rome ne parvint toutefois pas à contenir la révolution des idées qui allait en découler, et que l’on a depuis appelée la « révolution copernicienne ».

La révolution relativiste est en marche

Celui qui, par la suite, va vraiment mettre un coup de pied dans la fourmilière aristotélicienne, se nomme Giordano Bruno (ci-dessous). C’est loin d’être le plus connu du grand public mais disons le tout net : si Copernic a entrouvert la porte, Bruno, lui, va la défoncer.

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Je ne retracerai pas la vie de ce véritable génie visionnaire qui, à lui seul, mériterait un article entier. En résumé, cet Italien a vécu dans la seconde partie du XVIe siècle (il est né cinq ans après la mort de Copernic). D’abord frère dominicain, prêtre, il sera forcé de fuir l’Église, menacé d’une condamnation en hérésie. Il faut dire que sa libre pensée, sa curiosité insatiable et sa vivacité d’esprit vont l’amener sur des chemins bien périlleux. Son caractère buté aussi.
C’est en exil dans différents pays d’Europe (il sera longtemps protégé par le roi de France Henri III) qu’il publiera plusieurs ouvrages dont certains contiennent les idées révolutionnaires qui nous intéressent.

Quelles sont ces idées ? Rien de moins que l’invention du concept moderne de relativité !

Vous vous souvenez d’Aristote et de sa pierre lancée du haut d’un bateau, retombant derrière le navire : preuve « irréfutable » que la Terre était au centre de l’univers, et que toutes les lois physiques ne pouvaient exister qu’en faisant référence à ce repère absolu. Eh bien, Giordano Bruno eut une idée saugrenue pour l’époque : faire l’expérience. Et comme il l’avait prévu, bien que le bateau filait sur l’eau, la pierre retomba au pied du mât, tout comme si le navire avait été immobile.

A ce propos, je vous invite à faire l’expérience vous-même. Au milieu d’un trajet en TGV, placez vous dans la rangée centrale et, à pieds joints… sautez en l’air ! Si vous vous écrabouillez à plus de 200 km/h contre la paroi arrière du wagon, éclaboussant de vos chairs tous les passagers du compartiment, c’est qu’Aristote avait raison. Si, en revanche, vous retombez simplement au même endroit, sous les regards interloqués de vos compagnons de voyage, c’est que Giordano Bruno avait raison. Allez, je vous rassure : vous pouvez sauter autant que vous voulez, vous ne craignez rien, si ce n’est le ridicule.

De cela, Bruno va déduire qu’il n’existe aucun mouvement absolu. En termes modernes, cela signifie que, du point de vue des lois physiques, dire que c’est le train qui se déplace par rapport au quai, ou que c’est le quai qui se déplace par rapport au train, revient au même. Cela lui permet de réfuter les critiques faites à Copernic : la Terre peut tourner autour du soleil et tourner également sur elle-même sans que nous soyons ballottés à 1000 km/h dans tel ou tel sens.

Là où il va bien au-delà de Copernic, pour qui le soleil était le centre de l’univers, c’est qu’il comprend que ni l’univers, ni la physique n’ont besoin de centre. Son monde n’a pas de roi. Et dès lors, il va jusqu’au bout de ses idées. Il développe ainsi la théorie d’un univers infini, et imagine que toutes les étoiles ne sont que d’autres soleils lointains autour desquels tournent d’autres mondes comme la Terre !

Oui, on peut dire qu’il est sacrément en avance sur son temps le Bruno. Beaucoup trop en avance. Obligé de quitter une France aux prises avec les guerres de religion, il passe par l’Allemagne où il trouve le moyen de se faire excommunier par l’Église protestante (celle de Luther). Il finit par revenir en Italie où il sera finalement dénoncé à l’Inquisition.

Ses idées anti-aristotéliciennes, son intérêt pour la magie et surtout quelques « peccadilles » comme le fait, par exemple, que Jésus ne serait pour lui qu’un mage habile, lui vaudront le bûcher. Le 17 février 1600, après huit années de procès où l’on tentera en vain de lui faire renier ses écrits pour lui éviter les flammes (je vous ai dit qu’il avait un caractère buté), Bruno sera supplicié sur le Campo de’ Fiori.
Depuis plus d’un siècle, c’est sur cette même place romaine que se dresse désormais sa statue de bronze.

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La naissance de la physique moderne

Alors que les cendres de Giordano Bruno sont encore chaudes, un autre Italien va, à l’aube du XVIIe siècle, poursuivre sur la voie de la Relativité. Avec un peu plus de rigueur… et de précaution.

Cet homme, un Toscan né en 1564, s’appelle Galileo Galilei (oui, ses parents avaient un humour douteux). Mais il est plus connu en France sous le nom de Galilée.

Là aussi, je ne vais pas m’attarder autant qu’il le mériterait. Brillant mathématicien (il verra dans les mathématiques, le langage dans lequel sont écrites les lois de l’univers), Galilée défendra, preuves à l’appui, les thèses de Copernic contre celles d’Aristote, et fondera les bases de la mécanique, c’est à dire la science du mouvement. Si quelques unes de ses idées furent sans doute inspirées par Giordano Bruno (qu’il ne citera jamais, et on comprend pourquoi), on passe ici d’un plan plus philosophique à un plan plus scientifique. C’est bien Galilée qui posa les premières pierres de la physique moderne. Notons toutefois que sa « relativité » s’avère moins révolutionnaire que celle de Giordano Bruno, son univers demeurant, comme pour Copernic, centré sur le soleil.

galilee

Ses écrits porteront un coup décisif à la physique aristotélicienne, même s’il aura, lui aussi, affaire avec l’Eglise. Il usera aussi bien de la réflexion que de l’expérimentation. Voici deux exemples, parmi les plus célèbres, illustrant ses deux façons de faire…

La chute des corps

Pour Aristote, plus un objet était lourd, plus il tombait vite. Et c’est une évidence pour tous : tentez l’expérience dans votre salon avec une plume et un marteau (faites attention à vos pieds). Une évidence pour tous sauf pour Galilée. Et c’est une pure expérience de pensée qui va le mettre sur la piste (contrairement à la légende, il n’a jamais lancé de poids du haut de la tour de Pise). Pour cela, il suffit d’imaginer que l’on attache une ficelle entre la plume et le marteau. Si Aristote a raison, l’objet ainsi formé pèse plus lourd que chacun de ses éléments (puisqu’il pèse la somme de ces deux poids). Il tombera donc plus vite que le marteau seul. Mais si Aristote a raison, la plume, tombant moins vite, aura un effet « parachute » sur l’ensemble. Un ensemble qui tombera donc moins vite que le marteau seul. Bref, le raisonnement d’Aristote aboutit à une contradiction totale. Et le seul moyen de sortir de cette contradiction, est de dire que tous les objets tombent à la même vitesse, quel que soit leur poids. Et c’est ainsi qu’il développera sa loi de la chute des corps.

Pourtant, me direz-vous, l’expérience démontre le contraire. Pour Galilée et son implacable raisonnement, c’est donc que l’expérience est biaisée. Il y a quelque chose qui manque à la compréhension de cette expérience. Et ce quelque chose… c’est la résistance de l’air.
Si vous n’êtes pas convaincu, David Scott, commandant de la mission Apollo 15, a refait l’expérience sur la Lune, donc en l’absence d’air, et ce en hommage à Galilée sans qui il ne se serait jamais trouvé là. Découvrez le résultat sur cette vidéo…

L’incorruptibilité du ciel

Si Galilée peut, uniquement par le raisonnement, démontrer l’absurdité d’un autre raisonnement, il va aussi largement user de l’expérimentation. Cela sera notamment le cas en 1609 lorsqu’il aura – presque le premier – l’idée de pointer vers le ciel une longue vue, récemment inventée aux Pays-Bas et perfectionnée par lui-même.

L’un des pivots sur lequel s’appuyait Aristote pour dissocier la Terre et le Ciel (comprenant la Lune et tout ce qui est encore plus éloigné) est que ce dernier ne comporte que des formes parfaites (sphères), contrairement à notre bas-monde tout biscornu.

Avec sa lunette, Galilée va tout d’abord observer les cratères et les montagnes de la Lune (comme sphère parfaite, on fait mieux) avant de découvrir quatre lunes tournant autour de Jupiter, prouvant ainsi que tout ne tourne pas autour de la Terre. Il y aura ensuite les phases de Vénus (comme des croissants de Lune) démontrant que cette planète tournait autour du Soleil.

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L’abjuration

Rien ne convainquit l’Église. Après tout, il pouvait s’agir d’illusions d’optique, et personne – y compris Galilée – ne pouvait vraiment expliquer le fonctionnement de la longue-vue (Kepler viendra plus tard à son secours en écrivant le premier traité d’optique).

Vers la fin de sa vie, Galilée finira par trop chatouiller la Sainte Inquisition dans son ouvrage « Dialogue sur les deux grands systèmes du monde ». Sa défense du système désormais interdit de Copernic, lui vaudra son célèbre procès. Et comme le chantait Brassens : « mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente », notre ami Galileo ne prit pas le même chemin que Bruno. Et on le comprend.

Voici un extrait de son abjuration (concoctée préalablement par ses juges) :
« Moi, Galileo, fils de feu Vincenzio Galilei de Florence, âgé de soixante-dix ans, ici traduit pour y être jugé, agenouillé devant les très éminents et révérés cardinaux inquisiteurs généraux contre toute hérésie dans la chrétienté, ayant devant les yeux et touchant de ma main les Saints Évangiles, jure que j’ai toujours tenu pour vrai, et tiens encore pour vrai, et avec l’aide de Dieu tiendrai pour vrai dans le futur, tout ce que la Sainte Église catholique et apostolique affirme, présente et enseigne. Cependant, alors que j’avais été condamné par injonction du Saint-office d’abandonner complètement la croyance fausse que le Soleil est au centre du monde et ne se déplace pas, et que la Terre n’est pas au centre du monde et se déplace, et de ne pas défendre ni enseigner cette doctrine erronée de quelque manière que ce soit, par oral ou par écrit; et après avoir été averti que cette doctrine n’est pas conforme à ce que disent les Saintes Écritures, j’ai écrit et publié un livre dans lequel je traite de cette doctrine condamnée et la présente par des arguments très pressants, sans la réfuter en aucune manière; ce pour quoi j’ai été tenu pour hautement suspect d’hérésie, pour avoir professé et cru que le Soleil est le centre du monde, et est sans mouvement, et que la Terre n’est pas le centre, et se meut. J’abjure et maudis d’un cœur sincère et d’une foi non feinte mes erreurs. […] »

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Contrairement à la légende, il est peu probable qu’en quittant le tribunal, il ait chuchoté : « Et pourtant, elle tourne ». Enfin, moi, personnellement, j’aurais fermé ma grande bouche.

Et pourtant la Terre tournait bien autour du Soleil (du moins dans sa vision copernicienne des choses). Mais peu importait le courroux de l’Église, les graines semées par Galilée allaient vite germer… jusqu’à donner des fruits bien étranges. Suivez-moi au jardin, il y a des pommiers.

La relativité

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  Catégorie(s) : Physique

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